Après l'heure de mathématiques, le reste de la journée se déroula relativement bien. Enfin, plutôt comme d'habitude. Jonathan supporta les moqueries de Mathéo et sa bande, il subit les regards méchants et acérés des autres élèves et les réflexions des professeurs. Une journée comme une autre.

   Il fut soulagé en passant les grilles du collège. Enfin, il avait quitté cet enfer. Il traversa la foule d'élèves le plus rapidement possible et commença la route pour rentrer chez lui. Il pourrait prendre le bus, mais il n'aimait pas. Il y avait trop de monde et pas assez de place. Il avait l'impression d'étouffer, donc il préférait utiliser ses jambes pour rentrer. De toute manière, ça ne pouvait pas lui faire de mal, il n'habitait pas très loin et ça lui permettait aussi d'éviter Mathéo qui prenait le même bus que lui. Il prit le chemin habituel. Il passa devant des dizaines de maisons avant de traverser une rue piétonne bordée de boutiques en tous genres dans laquelle quelques personnes étaient en train de faire du lèche-vitrine. Il ralentit lorsqu'il passa devant la boulangerie du quartier. Il loucha quelques secondes devant des pâtisseries exposées en vitrine, l'eau à la bouche, puis secoua la tête en reprenant la route. Il n'avait pas d'argent sur lui, ça ne servait à rien de rêver devant, à part lui faire du mal. Il laissa son regard aller de gauche à droite pour observer les devantures des magasins, sans faire de pause. Il quitta ensuite la rue piétonne, traversa plusieurs rues et arriva dans une petite zone résidentielle modeste. Il tourna dans une allée à sens unique dans laquelle se trouvaient plusieurs maisons de cité identiques, en briques rouges et assez vieilles. Il s'arrêta devant l'une d'elles : c'était sa maison, à sa mère et lui. Elle n'était pas très grande, mais largement suffisante pour eux et sa mère la louait à un prix plutôt raisonnable. Devant la porte d'entrée en bois, il fouilla dans son sac pour sortir les clefs et l'ouvrit. « Heureusement que je ne les ai pas perdu lorsque Vincent a renversé mon sac ! » pensa-t-il. Il entra, se débarrassa de son manteau, jeta son sac au pied de l'escalier et prit la direction de la cuisine. Il se prépara un goûter rapide, une tartine de Nutella et un petit verre de lait – ça ne valait pas les pâtisseries de la boulangerie, mais bon –, puis fila dans sa chambre avec son sac de cours. Nous étions vendredi soir, mais Jonathan voulait prendre de l'avance sur ses devoirs, histoire de pouvoir traîner devant la télévision et jouer aux jeux vidéo tout le week-end. Il s'installa à son bureau et se mit au travail.

   La chambre de Jonathan n'avait rien d'extraordinaire. Les murs étaient habillés d'une tapisserie bleue claire, il avait accroché quelques posters représentant des personnages de ses jeux vidéo favoris et quelques photos de sa mère et lui était épinglé juste en face de lui, au niveau de son bureau. À côté de celui-ci, il y avait une étagère dans laquelle il rangeait ses affaires d'école. Son lit était derrière lui contre un mur, son couvre-lit représentait des ballons de football – bien qu'il n'aimât pas particulièrement ce sport. Et enfin, au pied de son lit se trouvait une vieille commode en bois dans laquelle se trouvaient ses vêtements.

   Après deux petites heures, il avait enfin fini. Il ne lui restait plus qu'à réviser une leçon d'histoire, mais il remit cela à plus tard. Il en avait marre de travailler et il commençait à avoir faim. Il descendit donc les escaliers et retourna de nouveau dans la cuisine. Il ouvrit le réfrigérateur et prit un tupperware qui se trouvait juste à sa hauteur. Il y avait un petit post-it dessus : « Bon appétit ! Maman. ♥ ». Jonathan sourit. Il prit le petit papier qu'il déposa sur la table et mit le tupperware au micro-ondes. Après deux minutes, son repas était réchauffé. Il prit son dîner, le mot de sa mère qu'il glissa dans sa poche et alla dans le salon. Il alluma la télévision et zappa jusqu'à tomber sur Bob l'Éponge. Il mangea avec pour seule compagnie Bob et Patrick... Enfin, il avait l'habitude. Sa mère accumulait les heures de travail supplémentaires, demandait à travailler un maximum le week-end et les jours fériés pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Il ne la voyait malheureusement pas très souvent, et quand il avait la chance d'être à la maison en même temps qu'elle, souvent elle était épuisée et désagréable. Cela lui faisait mal au cœur, mais il se disait que c'était de sa faute. S'il n'était pas là, si elle n'était pas tombée enceinte à 16 ans, elle aurait pu suivre des études et avoir une meilleure situation... Il avait déjà de la chance qu'elle s'occupe de lui... C'était ce que lui disait sa grand-mère, à chaque fois qu'il la voyait. Mais est-ce que c'était vraiment de sa faute ? Il n'avait pas demandé à naître. Il n'avait rien demandé à personne. Il était juste là, c'est tout. Il secoua la tête pour chasser ses pensées négatives et se concentra sur son dessin animé préféré.

   Il était 22h16, il faisait nuit noire dehors désormais. Jonathan était toujours devant la télévision, zappant sans réellement faire attention à ce qui défilait sous ses yeux, qui commençait à lui piquer à cause de la fatigue. Sa mère n'était toujours pas rentrée et il voulait au moins l'apercevoir deux minutes. Il commençait à s'inquiéter. D'habitude, elle ne rentrait jamais aussi tard. Il se frotta les yeux, se leva et ramena le tupperware et ses couverts dans la cuisine. Pour passer le temps, il fit la vaisselle. Une fois fini, il regarda de nouveau l'heure. 22h28. Toujours pas de signe de Maman. Il renonça à son envie de la voir et alla mettre son pyjama dans la salle de bain. Il pourra peut-être la voir demain matin ? Il rejoignit sa chambre en traînant des pieds. Il poussa la porte, se jeta dans son lit et se nicha sous les couettes.

   Il n'arrêtait pas de s'agiter dans son lit. Il se retournait sans arrêt. Il repensait à sa journée, à Mathéo, à son heure de colle... « Quelle journée de merde. » se disait-il. Une sensation de malaise commençait à apparaître en lui. Une boule au ventre. Il ne se sentait pas bien... Et puis, il pensait aussi à sa mère. Il espérait qu'elle n'avait pas eu de problème. Ce n'est pas dans son habitude de rentrer aussi tard, sinon elle l'aurait précisé dans son mot... Il fermait les yeux pour se forcer à s'endormir, mais c'était impossible... Il commençait à avoir une boule dans la gorge lorsqu'il vit une lumière passer par la fenêtre de sa chambre et le bruit d'un moteur. Maman ? Il attendit dans son lit, pour être sûr que les voisins d'en face ne lui fassent pas une fausse joie. Et lorsqu'il entendit les clefs tourner dans la serrure de la porte d'entrée, il sauta de son lit. Il commença à descendre les escaliers et vit sa mère de dos, en train de refermer la porte.

« — Maman ? » demanda-t-il.

Il s'était arrêté à la moitié de l'escalier. Il avait une drôle d'impression. Ce n'était pas normal. Elle se retourna vers lui et il vit qu'elle avait les yeux gonflés et rouges : elle pleurait.

« — Va te coucher, Jonathan, lui dit-elle simplement.

   — Qu'est-ce qui t'arrive, maman ? »

Il s'approchait d'elle, inquiet. Il ne l'avait jamais vu dans cet état.

« — Va te coucher ! »

Elle lui avait crié dessus. Il ne chercha pas à comprendre et fit demi-tour immédiatement. Il rejoignit son lit et écouta tous les mouvements de sa mère à l'étage inférieur. Il l'entendit entrer dans la salle de bain, de l'eau coulait puis un silence. Puis elle monta les escaliers et alla se coucher directement. Il devina qu'elle n'avait pas pris la peine de manger. Il soufflait doucement pour atténuer la boule qu'il avait dans la gorge et retenir ses larmes. Qu'est-ce qu'il avait bien pu se passer ?

   Jonathan eut encore plus de mal à trouver le sommeil.

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Yumi M. ©