• La Librairie de Monsieur Charlie - Chapitre 3

    La Librairie de Monsieur Charlie - Chapitre 3

     

       Nous étions samedi. Jonathan fut réveillé par la pluie qui tapait contre sa fenêtre. Il jeta un œil à son réveil : 7h33. Il se retourna dans son lit et ferma les yeux, bien décidé à faire la grasse matinée... Mais il se ravisa lorsqu'il entendit du bruit au rez-de-chaussée et qu'une odeur alléchante lui parvint aux narines. Ni une ni deux, il sauta de son lit et descendit les escaliers le plus rapidement possible. L'appel de la nourriture ! En entrant dans la cuisine, il se retrouva face au dos de sa mère, qui elle-même se trouvait face à la cuisinière. L'excitation et la joie de la voir le firent sourire et il sautilla sur place. Il s'approcha d'elle et vit la raison de cette bonne odeur : sa mère était en train de préparer des pancakes. Il en avait l'eau à la bouche ! La jeune femme remarqua sa présence.

    « — Déjà réveillé ? lui demanda-t-elle. Tu as bien dormi ?

       — On ne peut mieux. » lui répondit-il avec un grand sourire.

    La vérité ? Pas vraiment. Il a passé sa nuit à se retourner dans son lit, en pensant à sa journée et aux larmes de sa mère. Cette dernière lui ébouriffa les cheveux et l'invita à s'installer à table. Elle lui servit un grand verre de jus d'orange et une énorme assiette de pancakes. Jonathan la regarda avec de gros yeux. Tout ça, pour lui ? Il n'arrivera jamais à tout avaler. Sa mère s'installa en face de lui, une tasse de café fumante dans les mains. Elle rit en voyant le visage de son fils.

    « — Je pensais en prendre quelques-uns, mais je n'ai plus faim. Tu n'es pas obligé de tout manger. »

    Le garçon acquiesça et fit couler une bonne quantité de sirop d'érable sur ses petites crêpes et commença à manger. Sa mère restait muette en face de lui, son visage tournait vers la fenêtre et soufflant sur son café trop chaud. Elle avait l'air perdue dans ses pensées. Jonathan n'osa pas la déranger et mangea en silence. Il se contenta de l'observer : le garçon trouvait sa mère très jolie. Elle avait un visage fin, de longs cheveux bruns attachés en queue de cheval et de grands yeux marron. Elle s'habillait toujours de manière très simple, la plupart du temps jean/t-shirt et il pensait qu'elle n'avait besoin de rien de plus que ça pour être parfaite.

     

       Il ne laissa qu'un seul pancake dans l'assiette. Sa mère n'avait pas décroché un mot depuis tout à l'heure. Jonathan repensa à la scène d'hier, les yeux rouges et gonflés de sa mère. Il ne voulait pas la déranger ou l'énerver, mais il voulait savoir qui ou quoi avait provoqué ses larmes. Il prit alors son courage à deux mains.

    « — Maman ? »

    Ce n'était qu'un murmure, mais sa mère l'avait entendu. Elle avait tourné sa tête vers lui et le regardait dans les yeux.

    « — Oui ? elle lui fit un petit sourire.

       — Qu'est-ce qui s'est passé, hier soir ? »

    Son sourire disparut immédiatement et Jonathan regretta d'avoir posé cette question.

    « — Un enchaînement de... mauvaises choses. J'étais à bout.

       — Ah d'accord. »

    Le garçon acquiesça de la tête en se mordant la lèvre inférieure. Sa mère alla mettre sa tasse vide dans l'évier et se tourna vers lui.

    « — J'ai eu une mauvaise journée au boulot, elle marqua une pause, j'ai appris hier matin que j'étais licenciée, c'était ma dernière journée. Et sur le chemin du retour, j'ai cru que notre merveilleuse voiture allait rendre l'âme. C'est pour ça que je suis rentré tard. Désolée d'avoir été un peu... agressive hier. »

    Jonathan avait de nouveau une boule au ventre. Si Maman n'a plus de travailler, leur vie – qui n'est déjà pas toute rose – sera encore pire... Sa mère ayant remarqué son angoisse naissante,  s'approcha de lui et lui ébouriffa les cheveux.

    « — Ne t'inquiètes pas, je vais chercher un travail et je vais sûrement en trouver un rapidement.

       — La voiture roule encore ? Tu vas avoir du mal à en chercher un si elle est en panne...

       — Ça va, on habite en ville, je vais pas mourir si je marche un peu. Tu le fais bien tous les jours, quand tu vas en cours, non ? »

    Elle lui fit un grand sourire.

    « — Je peux ? demanda-t-elle en désignant le dernier pancake.

       — Oui ! »

     

       La matinée passa rapidement. Jonathan avait comme prévu passé son temps à jouer aux jeux vidéo jusqu'à présent et sa mère profitait d'avoir autant de temps qu'elle souhaitait pour faire du rangement dans la maison. Tout se passait bien jusqu'à ce que l'on toque à la porte. Jonathan mit son jeu en pause, se demandant qui pouvait bien venir leur rendre visite sans prévenir, pendant que sa mère se dirigeait vers l'entrée. Le garçon soupira en entendant la voix du visiteur, qui était en fait, une visiteuse.

    « — Anna ! Je suis désolé pour ton emploi ! hurla la grand-mère de Jonathan, de sa voix aiguë et irritante.

       — Mais qu'est-ce que tu fais là, Maman ? Où est papa ? » demanda la jeune femme en regardant derrière sa mère.

    Elle passa la porte, presque en forçant le passage et alla poser son sac sur la console dans l'entrée.

    « — Oh, ne me parle pas de ton père, on s'est encore disputés. Je suis venue ici car il m'énervait... et je voulais te voir aussi, bien sûr... »

    Jonathan, après quelques secondes d'hésitation, se décida à se lever pour saluer sa grand-mère en traînant des pieds. Il n'avait pas le choix, sa mère l'appellerait de toute façon. Les deux femmes avaient rejoint la cuisine, la plus jeune préparant le café pendant que la plus vieille se plaignait de son mari. Elle avait les cheveux courts et teints en blond, pour cacher ses cheveux blancs. Son visage était fin comme celui de sa fille, mais était creusé par les rides, et légèrement maquillées. Elle avait l'habitude de s'habiller de manière plutôt chic, Jonathan devait bien l'avouer, et elle adorait les couleurs flashy – tout le contraire de sa mère en somme. Elle adorait aussi se parer de nombreux bijoux en toc. Sa grand-mère était une jolie femme, mais Jonathan, plus que quiconque, savait à quel point elle était pourrie de l'intérieur. La femme tourna la tête vers Jonathan et ne put s'empêcher de faire une grimace.

    « — Qu'est-ce qu'il fait là, lui ? »

    Anna se retourna vers sa mère, les sourcils froncés.

    « — On est samedi maman.

       — Ah, dommage. »

    Jonathan serra les poings et fit volte-face. Il n'aimait pas sa grand-mère et c'était très clairement réciproque. Il n'avait pas envie de rester dans la même pièce qu'elle. Moins il la voyait, mieux il se portait. Il retourna devant la télévision et reprit son jeu.

    « — Ah non, entendit-il hurler dans la cuisine, il ne va pas nous embêter avec ses jeux débiles ! »

    Jonathan remit la pause, le cœur battant et les yeux grands ouverts, surpris par la voix de crécelle dans sa grand-mère. « Mais elle est folle ? pensa-t-il, elle ne peut pas me laisser vivre un peu ? »

    « — Dis-lui d'aller faire ses devoirs dans sa chambre.»

    Jonathan entendit sa mère sortir de la cuisine et s'approchait de lui. Il se retourna vers elle.

    « — Je les ai déjà fait, maman. »

    Elle lui fit un sourire qui voulait dire désolé et s'approcha encore de lui pour lui embrasser le front.

    « — Tu joueras ce soir. »

    Il souffla de mécontentement et éteignit sa console à contre cœur.

     

       Jonathan passa le reste de sa journée principalement dans sa chambre, à croire que sa grand-mère faisait exprès de lui gâcher son samedi après-midi. Jonathan avait alors essayé de réviser sa leçon d'histoire, sauf que sa grand-mère avait une manière de parler plutôt... sonore. Il put suivre de manière approximative la conversation entre elle et sa mère. Il en apprit un peu plus sur la raison pour laquelle sa mère avait perdu son travail : le magasin dans lequel elle était embauchée avait été racheté par un nouveau propriétaire et ce dernier virait beaucoup d'employés – d'après sa mère, il préférait visiblement embaucher des femmes plus jeunes... Jonathan ne put s'empêcher d'être soulagée que sa mère ne côtoie plus cet homme. Il entendit aussi que la jeune femme n'était pas prête de reprendre la voiture, avec ce qu'il s'était passé hier : le moteur du véhicule se coupait sans arrêt. Et il entendit aussi les habituelles plaintes de sa grand-mère concernant la situation de sa fille et, bien sûr, tout était la faute du garçon. Jonathan esquissa un petit sourire triste lorsqu'il entendait sa mère prendre sa défense.

     

       En fin de journée, Jonathan se décida à redescendre à l'étage inférieur lassé d'attendre dans sa chambre devant son cahier d'histoire et de s'improviser un basket avec des boulettes de papier. Sa grand-mère était sur le point de partir. Elle ne loupa pas l'occasion d'essayer de blesser Jonathan.

    « — Dommage qu'il soit ici, je suis sûr que tu aurais pu déjà trouver quelqu'un s'il n'était pas là. » cracha-t-elle.

    La mère de Jonathan poussa presque sa mère à la porte. Visiblement, elle avait eu le droit au discours « Trouve-toi un mari, tu commences à te faire vieille. »

    « — Dépêche-toi de rentrer, papa va commençait à s'inquiéter, lui dit-elle. À plus tard. »

    La vieille dame la salua et partit. Enfin. Anna se retourna vers Jonathan et soupira. Elle savait très bien que sa mère n'aimait pas son fils, elle essayait toujours de la stopper dans ses reproches et ses réflexions pour protéger Jonathan. Sauf qu'elle ne savait pas qu'elle était plus violente lorsqu'elle n'était pas là, les rares fois où elle se retrouvait seule avec le collégien.

     

       Jonathan était désormais dans son lit. Il avait pu réviser sa leçon d'histoire avec sa mère, avait dîné, prit une douche, et enfin passa un peu de temps avec sa console. Il était maintenant niché dans son lit, revoyant le regard méprisant de sa grand-mère et repensant à toutes les choses qu'il avait entendu aujourd'hui, mais aussi à toutes celles qu'elle lui avait déjà dites auparavant. Pourquoi ne pouvait-elle pas l'apprécier un peu ? Il ne lui avait rien fait. Et elle persistait à se comporter ainsi malgré les réflexions que sa mère pouvait lui faire. Puis il laissa son cerveau trop penser... les cours, Mathéo, sa grand-mère, sa mère qu'il voudrait aider, son père qu'il aurait aimé connaître... Il retint ses larmes et ferma les yeux, se forçant à dormir pour ne plus penser.

     

       Après quelques minutes, il eut l'impression de sentir une étrange chaleur l'envelopper et une drôle d'odeur, qui lui semblait familière mais qu'il n'arrivait pas à reconnaître, lui vint aux narines... Il s'endormit profondément.

     

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    Yumi M. ©

     


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