• La Librairie de Monsieur Charlie - Chapitre 6

    La Librairie de Monsieur Charlie - Chapitre 6

     

       Sa grand-mère ne s'était pas gênée de lui dire à quel point elle le trouvait stupide pour tomber et se blesser le visage à ce point. Si elle savait. Le garçon avait un bel œil de beurre noir, sa lèvre avait légèrement enflé et avait désormais un pansement sur la tempe. Des bleus étaient apparus sur son corps également, il faisait bien attention à les cacher sous une bonne couche de vêtements. Il avait passé le premier week-end de ses vacances à s'occuper comme il le pouvait à la maison, à regarder la télévision ou jouer aux jeux vidéo – quand cela ne posait pas de problème à l'invitée, bien évidemment. Il devait avouer qu'il s'ennuyait un peu.

     

       Anna, quant à elle, courait dans toute la maison pour ranger même ce qu'il n'y avait pas à ranger. La maison n'avait jamais été aussi impeccable. Jonathan faisait ce qu'il pouvait pour l'aider et essayer de la détendre un peu. Le garçon pensa que c'était les entretiens d'embauche qui devaient l'angoisser. Et la présence de la mère d'Anna la stressait d'autant plus, car la femme ne cessait de lui dire qu'elle l'aiderait si ses rendez-vous n'étaient pas concluants : le collégien savait que sa mère avait et faisait toujours tout pour ne pas avoir à demander de l'aide à qui que ce soit. Il avait déjà surpris des conversations entre sa famille et elle parlant du fait qu'elle ait fui la maison familiale dès qu'elle le put. Jonathan pouvait très bien la comprendre. Si sa grand-mère avait toujours eu le caractère qu'elle avait actuellement, lui aussi aurait fui dès que l'occasion se serait présentée à lui ! Était-ce réellement son caractère, ou avait-elle fini par être aigrie en vieillissant ? Ou était-ce à cause de la naissance du garçon qui avait, comme elle le dit si bien, détruit la vie de sa seule et unique fille ? Jonathan ne savait pas et ne le saurait sûrement jamais.

     

       L'hébergée, à part se comporter comme un véritable parasite, ne faisait pas grand-chose. Elle passait son temps au téléphone, à colporter des rumeurs sur telle ou telle connaissance avec ses amies, à se plaindre au moindre tracas et au moindre effort qu'elle eut à faire, à parler de son mari, à chercher à obtenir l'attention d'Anna pour un rien et essayer d'effacer la présence du collégien. Jonathan passait son temps à serrer les dents pour ne pas craquer et lui hurler à quel point il la trouvait insupportable. Le seul véritable avantage à l'avoir à la maison était qu'elle prêtait sa voiture à sa mère, ce qui avait le mérite de lui faciliter un peu la vie.

     

       Le week-end finit, le garçon se leva tôt le lundi matin – constata que son corps devenait déjà moins douloureux – et fila sous la douche. Il se prépara rapidement, prit un petit-déjeuner sur le pouce et remonta dans sa chambre. Il prit son sac de cours qu'il vida sur son lit. Il rangea tous ses cahiers et manuels négligemment dans son étagère et prit son agenda. Il était décidé à faire ses devoirs de vacances rapidement et de bien les faire, pour remonter ses notes. Si cela pouvait enlever un poids à sa mère, il le ferait. Il prit une feuille et un stylo, ouvrit son agenda sur la semaine de la rentrée et nota toutes les choses qu'il devait faire bien au propre et clairement pour pouvoir mieux s'organiser. Un devoir de mathématiques, un d'histoire, des exercices de sciences, des recherches en musique, le livre à lire en français... le livre de français ? Jonathan ouvrit grand les yeux et les dirigea vers son étagère. Il n'avait pas rangé de livre. Il se leva et se mit à fouiller entre tous ses manuels. Il les prit tous et retourna vers son lit. Il commença à les trier par matière. Le livre de français n'était plus là. Il retourna vers son sac, le tapota et chercha à l'intérieur pour en être sûr. Et malheureusement, oui. Il avait disparu. Enfin, disparu... C'était très certainement Mathéo qu'il lui avait pris. Voilà pourquoi il avait entendu des rires. Et le problème était qu'il ne lui manquait pas que cela. Il n'avait plus son cahier de maths, donc plus les cours pour réviser et l'aider à faire son devoir maison, et son manuel d'histoire dans lequel se trouvaient les réponses à son devoir avait également disparu. Il se laissa tomber sur son lit, l'angoisse commençant à se manifester dans son ventre. Comment allait-il faire ? Il souffla, toujours sa fameuse technique pour tenter de vaincre la boule qu'il avait au ventre, puis se leva et se dirigea vers la fenêtre. Il l'ouvrit et un courant d'air s'engouffra dans sa chambre, ce qui le fit frissonner. Il resta accoudé quelques minutes, à observer la rue puis remarqua une plume blanche sur le rebord de la fenêtre. Il la prit et la fit tourner entre ses doigts... Mais bien sûr ! Monsieur Charlie ! Il devait y passer, peut-être qu'il y aurait un exemplaire du libre dont il a besoin . Le brun referma la fenêtre, un peu soulagé par l'idée qu'il avait eue. Les choses allaient peut-être s'arranger – au moins un peu. Il devait en parler à sa mère.

     

       Après avoir de nouveau rangé ses affaires dans l'étagère, il ouvrit la porte de sa chambre pour retourner à l'étage inférieur. Il entendit de l'agitation en bas et commença à descendre l'escalier. Arrivé dans la cuisine, il trouva sa mère en train de s'agiter dans tous les sens, paniquée.

    « — Ça va maman ? » demanda le garçon.

    Elle se retourna vers lui et lui fit un petit sourire.

    « — Oui, oui, je suis juste en retard pour mon premier entretien. »

    Jonathan fit un « oh » avec sa bouche. Anna était de nouveau en train d'ouvrir tous les placards à la recherche de quelque chose.

    « — Tu as besoin d'aide pour quelque chose ? »

    La jeune femme se retourna de nouveau vers lui. Il l'observa : les cheveux en pétard, des cernes plutôt prononcées, toujours vêtus de son peignoir et en pantoufles.

    « — Tu sais quoi maman, le garçon s'approcha d'elle et commença à la pousser en direction de la salle de bain, va prendre une douche, prépare-toi, je te fais du café. »

    Elle lui fit un rapide baiser sur le front et fila. Jonathan fit volte-face dans la cuisine, referma tous les placards et prit le pot dans lequel se trouvait le café en poudre. Il mit de l'eau dans la cafetière, mit les cinq cuillères de café en poudre et alluma la machine. Il se prépara un petit-déjeuner digne de ce nom cette fois-ci, et rapidement, l'odeur du café envahit la cuisine. Ce qui visiblement, réveilla la sorcière. Il entendit sa grand-mère descendre les escaliers en lâchant un bâillement des plus discrets et elle apparut dans l'encadrement de la porte. Les cheveux en pétard, vêtus d'un peignoir et en pantoufles, elle lui rappela vaguement sa mère qui était dans le même état il y a encore quelques minutes... « En mieux. » se dit le garçon. La femme remarqua le regard de Jonathan.

    « — Pourquoi tu me regardes comme ça, morveux ? » cracha-t-elle.

    Il secoua la tête et préféra se concentrer sur son petit-déjeuner. Il versa le lait sur ses céréales préférées et commença la dégustation. Pour ignorer au mieux sa grand-mère, il relit pour la centième fois les ingrédients indiqués sur la boîte. La femme traînait des pieds dans la cuisine. Elle ouvrait et claquait les placards. Le garçon devina qu'elle était en train de se servir une tasse de café. Elle vint ensuite à table, Jonathan pouvait la voir sur sa gauche, du coin de l’œil. Il vit qu'elle jeta un regard vers lui. Un silence gênant s'installa, silence qui fut brisé par l'arrivée en trombe d'Anna. La jeune femme avait les cheveux encore légèrement humide et s'était habillé comme à son habitude : un t-shirt blanc, un jean bleu foncé et des converses noirs.

    « — Bonjour maman, dit-elle en déposant un baiser sur la joue de sa mère.

       — Tu as bien dormi ?

       — Oui, ça peut aller. »

    Elle lui sourit et se servit également un café, puis elle s'installa en face de Jonathan. Le garçon hésita à parler devant sa grand-mère, mais il finit par prendre son courage à deux mains.

    « — Dis maman... »

    La femme leva les yeux vers son fils.

    « — Il y a une bibliothèque en ville... J'aimerais bien m'y inscrire, pour me changer un peu les idées... et ne pas passer toutes mes vacances devant la télévision. »

    La femme reposa sa tasse sur la table, quelque peu étonnée. Jonathan ne s'attendait pas à une telle réaction. Anna échangea un regard avec sa mère, qui paraissait tout aussi étonnée qu'elle. Était-ce si choquant de l'imaginer lire ?!

    « — Euh... d'accord, dit sa mère. C'est combien ? »

    Elle se leva et prit son sac à main. Jonathan ressentit un léger malaise – il devait avouer qu'il était un peu vexé – à cause de l'attitude des deux femmes, mais fut plutôt content que sa mère accepte directement, qu'il n'ait pas à lui donner telle ou telle raison, le pourquoi du comment elle devait le laisser s'inscrire.

    « — C'est cinq euros, je crois... il réfléchit.

       — Tiens, elle lui tendit un billet de dix euros, tu peux garder la monnaie, elle lui fit un léger sourire, ton café est très bon»

    Elle termina son café en vitesse et déposa la tasse dans l'évier. Elle sortit ensuite rapidement et quitta la maison. Jonathan remarqua que sa grand-mère posa son mug sur la table, mug auquel elle avait à peine touché.

    « — Immonde. » dit-elle en se levant et quittant la cuisine à son tour.

    Le garçon leva les yeux au ciel et secoua la tête.

     

       C'était le début de l'après-midi. La mère de Jonathan ne savait pas si son rendez-vous avait été positif ou pas. Dans tout les cas, elle en avait un deuxième cette après-midi. Le garçon, lui, avait préparé son sac et avait quitté la maison. Il avait décidé de se rendre à la librairie. Plus vite il y allait, plus vite il pourrait avoir son livre et commençait à travailler. Il fit le chemin qu'il connaissait par cœur et rejoignit la rue piétonne. Il retrouva rapidement la devanture en bois de la librairie. Il s'approcha, fut content lorsqu'il aperçut la pancarte précisant « Ouverte » et poussa la porte. Comme la première fois, il sentit immédiatement l'odeur des livres et une sensation de bien-être l'envahit.

    « — Bonjour, mon grand. »

    Le vieil homme était face à lui, à son comptoir, lui offrant son plus grand sourire, auquel Jonathan répondit avec plaisir. Jonathan priait intérieurement pour que l'homme n'évoque pas les évènements de vendredi.

    « — Bonjour.

       — Que puis-je pour toi ?

       — Je viens m'inscrire. »

    Monsieur Charlie lui sourit et sortit une feuille d'un tiroir. C'était le formulaire d'inscription. Il tendit un stylo au garçon, qu'il prit. Il commença à remplir le formulaire. Il sentit le regard insistant de l'homme sur lui, Jonathan sentait ses joues chauffer à cause de cela. Après deux petites minutes, c'était fini. Il tendit son billet à Monsieur Charlie qui lui rendit la monnaie.

    « — Tu es là parce que tu cherches un livre en particulier, je suppose ? le questionna l'homme, qui jetait un œil au formulaire.

       — Euh oui. »

    Jonathan était soulagé que Monsieur Charlie ne cherche pas à évoquer ses blessures. Mais il était sûr que cette conversation arriverait tôt ou tard, mais il se dit qu'il pourrait très certainement l'éviter.

    « — Est-ce que vous auriez « Le Roman de Renart » ?

       — Bien sûr ! l'homme contourna son comptoir, suis-moi ! »

     

       Au moins un problème en moins ! Monsieur Charlie le sauvait encore une fois !

     

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    Yumi M. ©

     


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